Le Révérend Père Benoît-Philippe Peckle, dominicain de la Sainte-Baume, a eu l’occasion au cours de la dernière semaine de l’Avent de donner plusieurs conférences dont la dernière évoquait la tradition provençale de Noël. En voici un aperçu.
Bien sur tout le monde connaît la crèche et ses santons mais d’autres traditions sont souvent moins connues, elles sont fondamentalement chrétiennes et signifient non seulement une fête mais aussi une manière chrétienne de la vivre. Le « cacho-fio » qui consiste en l’allumage rituel de la bûche de Noël : on dit aussi « bouta cacho-fio », c’est à dire bouter le feu à la bûche. Celle-ci doit être traditionnellement de bois fruitier (poirier, cerisier, olivier). La plupart du temps, la cérémonie a lieu devant la cheminée avant de se mettre à table. Le plus jeune et le plus vieux mettent le feu à la bûche, que l’on arrose par trois fois de quelques gouttes de vin. Le maître de maison dit la bénédiction traditionnelle : « Alegre, Diou nous alegre, cachofué ven, tout ben ven, Diou nous fague la graci di veïre l’an que ven. Se sian pas mai que siguen pas men ». (Soyons joyeux, Dieu nous garde joyeux. Cachofué vient, tout bien vient, Dieu nous fasse la grâce de voir l’an qui vient. Si nous ne sommes pas plus, que ne soyons pas moins).
Le gros souper
La préparation commence assez tôt, c’est à dire le quatre décembre, jour de la sainte Barbe, on mettra à germer du blé et des lentilles sur du coton mouillé dans trois soucoupes. Ces trois soucoupes symbolisent la fécondité, la fertilité et la fraternité elles font partie de la décoration de la table du « gros souper ». La sainte Barbe ou Barbara marque le début des fêtes calendales qui se terminent avec la chandeleur. Pour le soir de Noël, la table du Gros Souper (Gros soupa, en provençal) devra être recouverte de trois nappes blanches, une pour le Père, une pour le Fils et l'autre pour le Saint-Esprit, on y disposera un chandelier à trois bougies qui représentent les trois temps : passé en souvenir de morts, présent de la fidélité aux vivants, amis et parents et futur dans l’espérance des enfants à naître. Le blé et les lentilles germées et enfin du houx à boules rouges. Le gui n’est pas utilisé traditionnellement. La table ne sera pas desservie le soir même et on noue les coins des nappes pour éloigner les mauvais esprits. Il est aussi traditionnel de mettre en couvert en plus, le couvert du pauvre ou de l’étranger. Le Gros Souper est composé est encore un repas de l’Avent c’est donc un repas maigre de sept plats en souvenir des sept douleurs de la Vierge Marie. On y sert des légumes: la soupe, aux choux ou à l’ail « l'aïgo boulido » (soupe à l'eau bouillie ; ail, sauge, huile d'olive et pain), des escargots, du céleri à l'anchoïade (la Bagna-Caudo, en provençal) ou bien une salade de truffes et céleri, le gratin de morue aux épinards ou bien la brandade de morue, les cardes à la sauce aux truffes ou en béchamel et de la salade sauvage. Bien évidemment il ne s’agit pas de tout faire les goûts et les appétits ont évolué mais l’esprit du repas maigre est essentiel. Dans l’est de la Provence on y joint les ravioli aux épinards ou aux blettes servis avec une sauce tomate ou une sauce aux noix. Au menu du Gros Souper, vous pouvez proposer des épinards, des blettes, du chou-fleur, des artichauts, des salsifis, des panais, du céleri de la courge... néanmoins la carde est le légume vraiment traditionnel. Ce souper se prend avant la messe et c’est au retour de la messe que sera servi le dessert ou plutôt les treize desserts. Treize desserts traditionnels qui évoquent Jésus et ses douze apôtres lors de la Cène : du nougat blanc et du nougat noir symbolisant les jours heureux et malheureux, des fruits secs, ceux que dans les campagnes on a chez soi comme des amandes, des noix, des noisettes, des figues sèches, des raisins secs. Ce sont les « mendiants », on les désigne ainsi en raison de leur couleur qui est proche de celle des ordres religieux quêteurs. Les figues sèches pour l'ordre des Franciscains, les amandes pour celui des Carmélites, les noix ou noisettes pour les Augustins, les raisins secs pour l'ordre des Dominicains. On ajoutera des dattes, produit plus exotique, rappelant l'épisode biblique de la fuite en Egypte. Des calissons, des fruits de saison ou conservés pour la circonstance : des pommes, des poires, des melons d'hiver, des arbouses ou des sorbes, des mandarines ou des oranges pour la réussite des vœux émis dans le silence du cœur, du raisin blanc pour la vitalité. Sans oublier les pâtes de fruits, de coing, de la pastèque ou du cédrat confit pour une année de richesses. Et bien entendu "lou gibassié " ou pompe à huile appelée aussi fougasse (galette de farine cuite avec de l'huile d'olive et de la fleur d'oranger), gage de réussite. Selon la tradition, il faut rompre la pompe à huile comme le Christ a rompu le pain et ne pas la couper pour ne pas se retrouver ruiné l'année d'après. On accompagnera le tout de vin cuit. Lorsque vous aurez dégusté tour à tour les douze desserts vous pourrez, avec la première mandarine, faire un vœu secret dont la tradition dit qu’il sera exaucé dans l'année. Chacun en Provence a sa liste des treize desserts et toutes divergent sensiblement d'une ville à l'autre, d'une famille à l'autre. Seul le nombre est impératif.